Fraîchement recueillie, je me fais plutôt bien à ma nouvelle vie. J’ai été positionnée dans le salon près de la baie vitrée ce qui n’est pas pour me déplaire ; l’exposition de la maison donne à mon rose de chouettes reflets selon l’heure de la journée.
À peine arrivée, j’ai déjà été largement utilisée. Joël est un féru de lecture. Il avait l’habitude de lire dans son canapé mais la tendance inévitable à l’affalement a eu raison de son dos qui lui a bien vite réclamé une posture plus adéquate. Joël dit de moi que j’ai le dossier idéal et l’assise confortable pour passer de longues heures à lire dans son salon. C’est drôle, il a la même habitude que la cadette de ma première famille ; se balancer sur mes deux pieds arrière en appuyant ses propres pieds sur la belle table en bois juste devant. Est-ce qu’aucun humain ne tient en place ?
Si les réceptions d’amis ou de familles sont rares ces derniers temps, la petite famille au complet fait mon bonheur au quotidien. J’ai déjà eu l’occasion de partager des moments d’émotions face à la télévision, de servir de tabouret pour récupérer une boîte laissée en haut du grand buffet, de lit pour le chat qui a l’air de m’apprécier tout particulièrement… Je n’ai rien contre ces bêtes-là tant qu’elles ne font pas leurs griffes sur mes jolies pattes en bois.
En écoutant les conversations, en regardant autour de moi, je comprends que je n’ai pas mis les pieds ici par hasard. Ce sont des habitués de la seconde main. Les acolytes autour de moi sont aussi des objets d’occasion. Ils viennent d’ici et d’ailleurs, la majorité de la ressourcerie, d’autres de dons d’amis ou de famille après des déménagements, quelques éléments de décoration vintage viennent de collectionneurs qui vendent leur art en brocante. Chez Joël, la récup est un réflexe. Pour lui, l’achat neuf est une absurdité quand on sait le nombre d’objets déjà produits encore en très bon état. Il achète d’occasion dans un souci de réduction des déchets, d’économies bien sûr mais surtout de quête de sens. Sans être un pro de la déco, j’ai l’impression qu’il cherche à vivre dans un endroit qui lui ressemble. Un chez-lui bien à lui qui ne reproduit pas les clichés des pages inspirations d’un énième catalogue de magasins de mobiliers classiques. Recevoir des compliments sur le style atypique et personnel de son lieu de vie le remplit de joie et fait sa fierté. Il n’a pas beaucoup d’objets mais ceux qu’il possède ont une histoire et un sens bien particulier pour lui et sa famille et toujours une place de choix dans la maison. J’en suis d’autant plus flattée d’être ici.
En me choisissant et en choisissant tous les autres, Joël n’a pas seulement adopté des objets, il a adopté un mode de vie.